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Le peuplement de l’île de Pâques éclairé par la génétique

L’un des chapitres les plus frappants du livre Effondrement (Gallimard, 2006), de Jared Diamond, concerne l’île de Pâques. L’anthropologue et physiologiste américain y défend la thèse selon laquelle ses premiers habitants auraient surexploité les ressources de cet îlot perdu dans le Pacifique Sud, notamment pour ériger de hiératiques statues géantes, se condamnant à la disparition. Les Européens, qui ont découvert l’île en 1722, n’auraient fait que précipiter une catastrophe démographique déjà en cours.
L’archéologie avait déjà pointé les faiblesses d’un tel récit, montrant par exemple que les îliens avaient su s’adapter au changement de végétation grâce à d’ingénieux jardins de pierres, leur étendue permettant d’évaluer la taille de la population. La génomique « enfonce vraiment le clou », estime Evelyne Heyer, professeure d’anthropologie génétique au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
Une étude qu’elle cosigne dans Nature, parue mercredi 11 septembre, analyse ainsi les génomes de quinze habitants de Rapa Nui – le nom indigène de l’île de Pâques – dont les restes s’étaient retrouvés dans les collections du Musée de l’homme à la suite d’expéditions sur place par Alphonse Pinart (1877) et Alfred Métraux (1935). Les conditions dans lesquelles ces restes humains ont été prélevés sur place sont confuses, mais l’ADN qui en a été extrait a parlé. Les individus en question ne portaient aucune trace de mélange avec les Européens. Cela a facilité la reconstruction de la dynamique de cette population. « Nous rejetons un scénario impliquant un goulet d’étranglement sévère durant les années 1600, tel que proposé par la théorie de l’écocide », écrivent Anna-Sapfo Malaspinas (universités de Lausanne et de Copenhague), qui a dirigé ces travaux, et ses collègues.
Les modélisations suggèrent que la population de Rapa Nui, où les premiers navigateurs polynésiens auraient débarqué il y a environ huit cents ans, a crû régulièrement jusqu’à l’arrivée des Européens, ne dépassant pas 3 000 habitants, et non 15 000, selon certaines estimations. Ce chiffre de 3 000 est en ligne avec les récits des premiers Européens sur place, mais aussi avec la dernière étude en date sur les jardins de pierres. Ce n’est qu’ensuite, avec l’importation de maladies, puis la mise en esclavage d’un tiers des habitants dans les années 1860 par des « négriers » péruviens, et un épisode de variole que la population est tombée à environ 110 individus – elle est aujourd’hui remontée à 7 750 personnes.
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